top of page

ELLE ET LA POULE

SIMONE DOMPEYRE Traverse Vidéo

Elle et la poule  puisqu’il s’agit de sonorité, est peut-être à lire comme « elle est la poule » ; cette définition dépréciative appartient à la longue liste avec laquelle la société masculine/machiste a épinglé les femmes.

La vidéo performative imite le défi lancé par d’autres actions politiques, qui consiste à renverser l’insulte en la prenant comme appellation patentée.

La femme en robe moulant un corps sans faute, d’emblée par ce vêtement, adopte cette stratégie de riposte ; longtemps voire encore aujourd’hui, l’attaque contre les féministes les réduit à l’obligation de laideur, ce seraient autant de « laides mal baisées. »

Elle, en robe rose en satin brillant, années 50, d’autant plus indicielle qu’elle est portée dans les ruines d’une maison de campagne envahie par les plantes efface les clichés.  La vidéo qui participe au projet DOLLHOUSE*, dont le nom antiphrastique annonce la couleur, pervertit l’attente, son incipit faisant mine de découvrir cette maison de pierres abîmée mais esthétiquement filmée, sous la brume la poétisant, ainsi que l’environnement jusqu’à décrire la perle de rosée sur feuilles et branches.

En fondu, inattendue, la jeune femme vient selon le mode d’apparition : lieu vide, lieu occupé et lieu vide lorsqu’elle disparaît en fondu inverse. Rien ne justifie sa place en ce lieu, ce n’est pas une promenade à la campagne, pas une narration mais un apologue.

La jeune femme, natte bien coiffée autour de sa tête, sourit ; le gros plan dirige vers ses mots très vite prononcés. Ils sont l’ouverture d’une litanie de « non, je n’ai pas peur » qui au-delà de l’exorcisme, fait état de la décision de réagir de riposter, de refuser le statut de victime, manière adroite de cantonner la femme à un statut d’infériorité. Le plan reste fixe sauf pour de rares changements, tel court travelling vers la poule à son tour en gros plan, tel plan des pattes à hauteur du sexe ; montage en accord avec la stratégie d’antiphrase qui fait mine d’accepter l’assimilation femme/poule.

Regard adressé, sans ciller des paupières, elle réclame que la femme puisse faire certains gestes sans être accusée d’ambiguïté comme manger une banane, boire un verre, s’habiller en jupe courte sans que cela justifie un viol, voire d’être à poil, de dire « oui » voire de reconnaître «  les cochons » puis de refuser… Autant d’accusations faites à la femme qui a subi des violences sexuelles.

Elle, elle revendique d’être un être et non un objet de désir. Elle accuse le violent qui ne retient pas ses coups sous l’effet de la boisson et  le violeur.

Elle n’a pas peur des mots, la déchirure du sexe et le forçage du sexe sont dits sans édulcoration, voire répétés soit lors de la description du viol, soit en clausule « je n’ai pas peur » dans la superposition, en effet d’écho, de sa voix.

Elle manie le décalage et le poursuit par le sourire adressé à la poule qu’elle caresse ; l’animal, calme, ne fait pas les mouvements de tête incessants qu’on lui connaît, elle se retourne seulement lors des gloussements émis par la jeune femme. En effet, après avoir égrené le texte diversement synchronisé ou décalé des mouvements des lèvres, elle imite à perfection les sons de la poule, dans ses aigus et répétitions. Un duo s’instaure, en in pour elle, et en off quand elle lâche la poule.

Elle est femme, a un corps et n’a pas à avoir peur ni d’être elle, ni d’être ce corps.

* DOLLHOUSE est une collaboration multidisciplinaire entre Manon Oligny, chorégraphe, une compagnie de théâtre : Bye Bye Princesse, toutes deux du Canada et l'artiste-cinéaste Kika Nicolela  brésilienne vivant en Belgique,

 

CAKE D'AMOUR

SIMONE DOMPEYRE Traverse Vidéo

La seconde vidéo-refus des idées arrêtées sur la femme et sa fonction sociale, sur la jeune fille à marier, atteste par son titre, sa source, du moins pour les cinéphiles Cake d’Amour ; pour les autres, un premier carton faussement naïf avec étoiles et titres en lettres censées être élégantes cite Peau d’âne le film de Demy, réalisé en 1970.

En une séquence culte- diraient d’aucuns- une jeune femme prépare un gâteau. Accoutrée  de la peau d’âne, qui lui vaut son surnom, la princesse ainsi déguisée pour échapper au désir incestueux de son père- le film éponyme suit le conte éponyme-  répond au souhait du prince- bien sûr charmant-qui pour la retrouver a demandé une pâtisserie faite de sa main.

Alors qu’elle le façonne, la jeune fille – jouée par Catherine Deneuve- se dédouble souillon et princesse en robe de ciel. Elle chante la recette – du moins apparemment car Anne Germain prête sa voix- glisser un anneau d’or pour le prince, acceptant l’union avec lui. Et lorsqu’elle casse les œufs, elle en libère un poussin.

Le plan fixe – avec cependant, quelques cuts pour la « prise » des ingrédients- refuse l’obédience à la fiction ; la vidéo  exhibe cette autre figure léguée à la femme : la bonne pâtissière obéissant aux rites et à son rôle.

La chanson/ recette est suivie, farine, œufs, lait, beurre, miel surgissent de nulle part dans les mains de la jeune femme en tablier. Celle-ci les lance, les casse, les parsème sur son corps. Elle couvre  ses cheveux de farine, elle goutte le lait d’un doigt avant de la verser sur sa poitrine, elle malmène ses seins enfarinés, elle pose du beurre sur son front et du miel au couteau sur son cou ainsi qu’une blessure.  Elle ne veut pas de cette autre assimilation de la femme bonne cuisinière et bonne à être dégustée à son tour.

Elle fait acte contre ces deux images, que les deux portraits, aux deux seuils du Candide de Voltaire, font de Cunégonde, belle à croquer et que croque Candide, «  belle, grasse, appétissante »  et devenue laide juste bonne à préparer la nourriture, littéralement à «  être bonne pâtissière ».

Après rire noir et antiphrase d’ « elle est la poule », rire jaune et syllepse du cake d’amour si elle est ce que l’on dévore ne serait- ce que des yeux, quand en humour se défendent les causes. 

bottom of page